DOCERE

Fiodor Dostoïevski

« Non seulement je n'ai pas su devenir méchant, mais je n'ai rien su devenir du tout : ni méchant ni gentil, ni salaud, ni honnête - ni un héros ni un insecte. Maintenant que j'achève ma vie dans mon trou, je me moque de moi-même et je me console avec cette certitude aussi bilieuse qu'inutile : car quoi, un homme intelligent ne peut rien devenir - il n'y a que les imbéciles qui deviennent. Un homme intelligent du XIXe siècle se doit - se trouve dans l'obligation morale - d'être une créature essentiellement sans caractère; un homme avec un caractère, un homme d'action, est une créature essentiellement limitée. »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 7

« de quoi un honnête homme peut-il parler avec le plus de plaisir?
Réponse : de lui-même. »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 8

« Je vous assure, messieurs : avoir une conscience trop développée, c'est une maladie, une maladie dans le plein sens du terme. »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 9

« devant le mur, ce genre de messieurs, je veux dire les hommes spontanés et les hommes d'action, ils s'aplatissent le plus sincèrement du monde. Pour eux, ce mur n'est pas un obstacle comme, par exemple, pour nous, les hommes qui pensons, et qui, par conséquent, n'agissons pas; pas un prétexte pour rebrousser chemin, prétexte auquel, le plus généralement, nous ne croyons pas nous-mêmes, mais auquel nous réservons le meilleur accueil. Non, ils s'aplatissent de tout cœur. Le mur agit sur eux comme un calmant, une libération morale, comme quelque chose de définitif, quelque chose même, je peux dire, de mystique… Mais - plus tard avec le mur. »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 10

« C'est que je ne m'estime pas moi-même. Un homme doué d'une conscience est-il capable de s'estimer un tant soit peu? »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 15

« messieurs, autant que je le sache, votre grand registre de nos intérêts, vous l'avez pris dans la moyenne des chiffres statistiques et des formules des sciences de l'économie. Vos intérêts, qu'est-ce que c'est? Le bien-être, la richesse, la liberté, le calme, etc.; de sorte que les hommes, qui, par exemple, iraient délibérément à l'encontre de cette liste ne seraient, d'après vous, et d'après moi, bien sûr, rien d'autre que des obscurantistes, ou carrément des fous, n'est-ce pas? »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 19

« Je pense même que la meilleure définition de l'homme est la suivante : créature bipède et ingrate. »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 26

« Un homme honnête et cultivé ne peut être vaniteux sans être d'une exigence illimitée envers lui-même, et sans se mépriser parfois jusqu'à la haine. »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 39

« L'amour, c'est un mystère de Dieu, il doit être fermé aux yeux des autres, dans toutes les circonstances. C'est plus sacré, à cause de ça, c'est mieux. On se respecte plus - et tant de choses sont fondées sur le respect. Et si l'amour est là au départ, si l'on se marie par amour, pourquoi est-ce qu'il diminuerait? Il n'y aurait pas moyen de le sauver? C'est tellement rare, quand on ne peut pas le sauver. Si tu tombes sur un mari honnête et bon, là, ton amour, comment est-ce qu'il pourrait passer? Le premier amour, celui de la nuit de noces, il peut passer, bien sûr, mais c'est un autre amour, meilleur, qui lui succède. Là, c'est les cœurs qui se rencontrent, on met tout en commun; on n'a plus de secret l'un pour l'autre. Puis viennent les enfants, là, tous les temps, même les plus difficiles, te paraissent un bonheur; il ne s'agit que d'aimer, et d'avoir du courage. Même le travail, là, il devient joyeux; là, même, parfois, on se refuse du pain pour le donner aux enfants, même ça, c'est une joie. Parce que, après, eux, pour ça, ils t'aimeront; donc, c'est pour toi que tu mets de côté. Les enfants qui grandissent, tu sens que tu es leur exemple, leur soutien; que, si tu meurs, eux, toute leur vie, ils porteront avec eux tes pensées, tes sentiments, parce qu'ils les ont reçus de toi, ils prennent ton image, ta semblance. Donc, c'est un grand devoir. Comment le père et la mère pourraient ne pas se rapprocher encore? On dit, tiens, que c'est dur, d'avoir des enfants. Mais qui dit ça? - C'est un bonheur du Ciel! Tu aimes les petits enfants, Lisa? Moi, c'est affreux comme je les aime. »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 83

« Je sais qu'on me dira que c'est invraisemblable - invraisemblable d'être aussi bête, aussi méchant que moi; on ajoutera aussi, peut-être, que c'était invraisemblable de ne pas l'aimer ou bien, à tout le moins, de ne pas comprendre cet amour. Pourquoi est-ce donc invraisemblable? D'abord, déjà, je ne pouvais pas l'aimer, parce que, je le répète, aimer, pour moi, cela signifiait tyranniser et dominer moralement. Toute ma vie, je n'ai même jamais pu imaginer une autre forme d'amour et j'en arrive à croire aujourd'hui de temps en temps que l'amour ne peut rien être d'autre qu'un droit volontairement donné à l'objet que l'on aime de nous tyranniser. »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 107

« Même être des hommes, cela nous pèse - des hommes avec un corps réel, à nous, avec du sang; nous avons honte de cela, nous prenons cela pour une tache et nous cherchons à être des espèces d'hommes globaux fantasmatiques. Nous sommes tous morts-nés, et depuis bien longtemps, les pères qui nous engendrent, ils sont des morts eux-mêmes, et tout cela nous plaît de plus en plus. On y prend goût. Bientôt nous inventerons un moyen pour naître d'une idée. Mais - ça suffit; je n'ai plus envie d'écrire, moi, du fond de mon “sous-sol”… »

— Fiodor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, éd. Actes Sud, p. 111

« Mais le plaisir est toujours utile, et le pouvoir frénétique, illimité — ne serait-ce que sur une mouche — ça aussi, dans son genre, c'est une jouissance. L'homme, par nature, est un despote, il aime être un bourreau. »

— Fiodor Dostoïevski, Le joueur, éd. Actes Sud, p. 37

« Si je commence en faisant attention... et vraiment, non mais, est-ce que, vraiment, je suis un si petit gosse? Est-ce que, vraiment, je ne comprends pas que je suis l'homme le plus perdu qui soit? Mais — pourquoi donc ne puis-je pas ressusciter? Bien sûr! Il me suffit, juste une fois dans ma vie, d'être raisonnable, d'être patient et — le tour est joué! Il me suffit, juste une seule fois, d'avoir du caractère et, en une heure, je peux changer tout mon destin! L'essentiel — c'est le caractère. »

— Fiodor Dostoïevski, Le joueur, éd. Actes Sud, p. 154

« Demain, demain, tout sera fini! »

— Fiodor Dostoïevski, Le joueur, éd. Actes Sud, p. 154